Il était tôt le matin, et les rayons du soleil étaient encore faibles. Ainsi, il aurait été normal que Mataza se soit senti somnolent, assis sur la banquette arrière du taxi miteux qu'il avait été obligé de prendre. Pourtant, il n'en n'était rien : la fatigue était un mal que Mataza ne connaissait pas ; comme tant d'autres, il était réservé au commun des mortels. Lui ne devait se soucier que de problèmes bien plus graves.

Tandis que le paysage défilait derrière les vitres sales du véhicule, il jeta un coup d'oeil à sa jeune accompagnatrice. Madoki Mamori, une petite fille inutile qui était sous sa responsabilité. Peut-être pourra-t-elle se révéler utile et l'aider à accomplir ses objectifs ? Mataza en doutait, tant ses plans étaient compliqués et tant cette gamine était naïve et inexperimentée. Mais il allait tout de même tenter de s'en servir, vu qu'il était obligé de se la trimbaler.

Enfin, le taxi s'arrêta, non loin d'un immense bâtiment que l'adolescent devina sans peine être l'Institut Djoto. Il donna un peu d'argent au voleur qui lui servait de chauffer et ordonna à Madoka de descendre et de sortir leurs bagages du coffre. L'enfant râla, piqua une crise, mais se résigna à obéir devant le peu d'intérêt que lui offrait le jeune homme. Elle dut soulever les lourdes valises et les déposer au sol, tandis que Mataza observait l'école qui s'élevait non loin d'eux, derrière un antique portail aux grilles rouillées. Il y avait quelque chose de sacré dans cet établissement scolaire, comme s'il avait traversé le temps et les péripéties des combattants du passé pour arriver jusque devant eux aujourd'hui. Mataza eut un rictus de contentement. Il allait pouvoir réaliser de grandes choses, ici.

Une fois les valises sorties de la voiture, le taxi s'éloigna sans demander son reste, heureux de quitter cette région désertique. Mataza, dans son immense bonté, accepta d'aider la petite fille à porter les différents bagages, mais à contrecoeur. La fillette était bien trop frêle pour réussir à les déplacer toute seule. Gamine inutile. Ils passèrent le portail en marchant en silence, approchant petit à petit du bâtiment en empruntant un chemin qui n'avait pas l'air d'être très entretenu, envahi par les mauvaises herbes. Après une ou deux minutes, ils arrivèrent devant les portes de l'endroit, qu'ils ouvrirent sans perdre de temps à les admirer.

Le hall dans lequel ils pénétrèrent n'avait rien de resplendissant ou de magnifique, contrairement à ce qu'il s'était imaginé durant le trajet en voiture. Non pas que ce genre de détails n'avaient la moindre importance à ses yeux, mais cela le surprenait tout de même, vu le statut légendaire de l'école. De plus, nouvelle surprise, il n'y avait aucun concierge, aucun membre du personnel pour les accueillir. Décidément...cette école était-elle abandonnée ?!

Madoka trimait comme une esclave. Après avoir sorti les lourdes valises du coffre du taxi, elle devait en traîner une deux plus lourde qu'elle ! Mais c'était le train de vie d'enfer habituel que lui faisait subir ce démon de Mataza, sans la moindre pitié ni compassion, et ce malgré son jeune âge. Et dire qu'elle allait devoir passer toute l'année scolaire en sa compagnie, à exécuter ses ordres...Elle n'avait pas fini d'en baver, c'était sûr et certain. Mais bon, elle restait tout de même excitée à l'idée d'entrer dans une école que fréquentaient les plus grands guerriers des quatres coins du monde, des combattants aux pouvoirs si grands qu'ils la feraient rêver...Et peut-être qu'après quelques années elle y trouverait son prince charmant, celui qui la comblerait de joie et de bonheur et qui ferait d'elle une princesse...

Elle fut sortie de ses rêveries de petite fille quand Mataza ouvrit les portes de l'école d'un geste brusque et désintéressé. Madoka lui jeta un regard noir, derrière son dos, mourrant d'envie de lui faire une grimace des plus horribles, mais retenue par la peur d'une sanction. La fillette se contenta donc de le suivre, trainant toujours l'énorme valise en tirant la langue tant elle avait du mal. C'était une très grande combattante, mais, étrangement, en dehors des combats, elle avait du mal à faire usage de la force. C'était peut-être son mental de petite fille qui reprennait le dessus...Et évidemment, cela énervait l'autre psychopathe en puissance.

Le hall n'était pas aussi resplendissant que ce que Madoka s'était imaginée dans ses rêves. Elle qui espérait voir un tapis rouge, des lustres d'or et de diamant, et un beau maître d'hôtel tout vêtu de blanc pour les accueillir...elle s'était lourdement trompée, et c'était vraiment dommage. A la place, ils n'avaient droit qu'à une grande salle délabrée, sale, et à une fontaine banale et ordinaire. La vie de princesse ne devait pas avoir beaucoup d'adeptes dans cet endroit. La fillette balaya les alentours du regard, mais ne vit rien qui pouvait les aider à découvrir dans quelle direction ils devaient aller, ni ce qu'ils devaient faire en arrivant. Ils étaient livrés à eux-mêmes, sans savoir comment réagir face à une situation à laquelle ils ne s'étaient pas préparés.

La jeune fille abandonna la valise sur le sol pour aller inspecter les lieux, tandis que son compagnon se contentait de les scruter, bras croisés, l'air mécontent. Voilà qui allait le mettre de fort méchante humeur, super...Elle décida de faire preuve d'un peu d'initiative, contrairement à lui. Elle gambada joyeusement du côté de la fontaine, qu'elle trouvait laide et sans aucun charme. Mais lorsqu'elle plongea son regard sur le liquide qu'elle contenait, elle changea instantanément d'avis. Cette eau était si claire, si parfaite, avait l'air si délicieuse...Madoka brûlait d'envie de la goûter, mais changea d'avis, à nouveau par peur d'énerver le crétin qui devait probablement l'observer. A la place, elle décida de partager sa découverte avec lui, criant de sa voix enfantine :

"Hé Mataza ! Viens voir cette eau ! Je suis sûre qu'elle n'est pas ordinaire, elle brille trop, on dirait du cristal ! C'est magnifique, je te jure!"

L'autre se contenta de lui jeta un regard méprisant, avant de s'en aller chercher des informations dans un autre coin de la salle. Madoka fit la moue, déçue par sa réaction méchante, et se désintéressa de cette eau si spéciale, pour continuer ses recherches. Quelqu'un allait bien finir par venir les renseigner, ou bien cette fichue école était-elle abandonnée ?! Si cela continuait, elle allait se mettre à pleurer très très fort, et personne n'aimait qu'une petite fille aussi jolie qu'elle pleure !

Mataza en avait déja assez de cette école, qui, même pour une action banale qu'une première arrivée, lui opposait déjà de la résistance, et ça ne sentait pas bon pour lui. L'endroit était tellement différent que tout ce qu'il s'était imaginé, il se demandait si cela n'allait pas finir par le gêner plus qu'autre chose. Bon, le problème était simple, si l'on prenait deux minutes pour y réfléchir : Madoka et lui n'avaient qu'à sortir du Hall et arpenter les couloirs, action qu'ils devraient de toute façon entreprendre à un moment ou à un autre. Trouver leurs chambres ne devait pas être si compliqué que cela, quand même !

Mais il fut tiré de ces pensées désagréables par une voix étrangement familière qui retentit tout à coup dans son dos, le faisant sursauter. Il n'avait entendu personne surgir derrière lui, ce qui était étrange, il n'en n'avait pas l'habitude, ayant des réflexes plutôt développés, c'était difficile de le surprendre de telle manière. Légèrement troublé, il fit volte-face, se demandant à toute vitesse s'il devait jouer la carte de la diplomatie ou celle de l'agressivité. Mais il fut vite rassuré de voir qu'il ne devrait pas trouver de réponse à cela pour le moment.

Le jeune homme qui venait d'entrer dans le hall en toute discrétion était l'une de ses connaissances. Pas un ami, bien sûr, vu que Mataza n'en n'avait aucun, mais quelqu'un qu'il avait déjà rencontré de nombreuses fois, étant l'un des fils des douze familles guerrières les plus importantes du pays. Et certainement l'un des plus surpuissants d'entre eux. C'était bizarre, car Mataza n'avait pas été mis au courant de son arrivée dans l'école, qui n'était initialement pas prévue. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Lui avait-on retiré le commandement de l'opération au profit d'un combattant plus fort ? Cela ne l'arraneait pas. Il se devait de tirer les choses au clair.

Il se tourna vers celui qui lui faisait face, sans lui adresser le moindre sourire ou geste de courtoisie, ne voulant pas déroger aux règles instaurées lors de leurs précédentes rencontres, qui avaient toujours étés glaciales, dues sans doute à leur caractère fort et solitaire.

"Tetsuhito, mais qu'est-ce que tu viens faire ici ? Personne ne m'a mit au courant de ton arrivée, j'espère que tu n'es pas là pour me releguer au rang de second rôle, pour une fois. Je ne supporterai pas que tu me voles la vedette dans cette opération, même si tu es très fort. C'est à mon tour de briller, et on m'avait enfin donné ma chance !"

Et il lui jeta un regard furieux, serrant les poings, comme si il avait déja répondu à sa question et que ce qu'il avait dit ne lui avait pas plu. Madoka, elle, restait en retrait, ne tenant pas à prendre part à un conflit ouvert entre deux de ses aînés, de peur d'éventuelles retombées. Pendant quelques minutes, les deux adolescents se scrutèrent sombrement, l'un dissimulé sous ses vêtements, écharpe et bonnet, tentant d'alimenter une apparence plus ou moins mystérieuse, l'autre le toisant fièrement, de haut, comme il en avait l'habitude. Décidément, ces premières minutes dans l'institut Djoto étaient pour le moins singulières !

Mataza serra les dents, mais dut s'avouer qu'il était soulagé. Il avait vraiment cru, l'espace d'un instant, que Tetsuhito avait été envoyé pour le remplacer, et cela, il ne l'aurait pas accepté. Même si au fond de lui, il savait qu'il n'aurait pas pu affronté son aîné, qui était beaucoup trop fort...peut-être même était-ce la meilleur combattant des douze familles réunies ? Il avait un potentiel illimité, une force surhumaine, une résistance à toute épreuve, et même d'immenses pouvoirs dont Mataza n'avait même pas idée. Un combat entre les deux jeunes n'était donc pas envisageable, même si il ne l'aurait jamais dit à voix haute, par fierté.

Pour l'heure, il gardait son poste de chef des opérations, metteur en scène des plans de leurs familles, quoi qu'en disait Tetsuhito. Et ça n'était pas pour rien qu'il avait été choisi : il possédait ses propres talents, et lui-même était très respecté pour les techniques de combat qu'il avait développées tout seul, sans l'aide de personne. Et ça, c'était sa plus grande fierté, car lui, on n'avait pas dut lui "donner" de pouvoirs, il se les était octroyé tout seul.

Tetsuhito, comme à son habitude, faisant preuve d'un trop plein de confiance en lui, jouait au petit chef avec tout le monde, et, comme à chaque fois, cela marchait à merveille. Ne voulant pas créer de disputes pour le moment, Mataza choisit de lui obéir, et prit ses bagages, immédiatement imité par Madoka, qui n'osait toujours pas ouvrir la bouche, comme si un cataclysme risquait de s'abattre sur elle si elle osait prendre part à la conversation. Quelle situation énervante ! Mais peut-être qu'en les forçant à prendre les devants, le "vrai démon" les sortirait de l'impasse dans laquelle ils s'étaient mis tous seuls en choisissant la facilité plutôt que la débrouillardise. Ils auraient du sortir et chercher où aller par eux-mêmes, quitte à se perdre dans l'immensité de l'école. Mais Mataza n'aimait pas l'inconnu, il préférait clairement évoluer dans un univers qu'il connaissait par coeur, contrairement à son aîné.

Ils sortirent du hall, chacun trainant sa valise derrière lui, à l'exception de Tetsuhito qui n'avait qu'un sac à dos, encore quelque chose d'étrange, que l'autre n'arrivait pas à comprendre. Et il n'essayerait pas de le faire, c'était inutile.

Après à peine quelques minutes, ils débouchèrent dans un réseau de couloirs qui paraissait sans fin, les galeries se relayant sans queue ni tête, comme si un architecte fou avait tracé les plans de l'établissement scolaire. Ils grimpèrent des dizaines d'escaliers, traversèrent des douzaines de couloirs, passèrent devant un nombre incalculable de portes toutes semblables, sans jamais rencontré le moindre élève qui aurait pu indiquer le passage. Rapidement, bon prince, Tetsuhito avait pris la valise de Madoka, ce que Mataza n'aurait jamais fait, pour sa part, car la petite fille commençait vraiment à avoir du mal à déplacer ses énormes bagages de princesse.

Enfin, après près de deux heures de recherches effreinées, ils arrivèrent dans ce qui semblait être l'étage des chambres des garçons. L'odeur qui y régnait n'était guère agréable, et la décoration des lieux laissait grandement à désirer, rappelant le décor des hôtels se voulant vaguement classe des Etats-Unis. Ici et là, quelques portraits hideux avaient été négligemment accrochés de travers, et quelques plantes à deux doigts de mourir finissaient de ternir un tableau déjà fort laid. Mataza soupira, regrettant déjà le confort qu'il avait laissé derrière lui. Mais bientôt, il serait récompensé au-delà de toutes ses espérances et ses rêves les plus fous. Disons donc que le jeu en valait largement la chandelle.